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Diamants synthétiques : la question de la “valeur intrinsèque”

Le diamant de laboratoire a-t-il la capacité de générer et de conserver une valeur marchande?

Cet article a été écrit par Alexandre Martin. Il fait partie du dossier “ENSURE THERE IS NO DOUBT” – Diamants naturels et synthétiques, une histoire en feux croisés.

What makes a diamond valuable?

La Federal Trade Commission des États-Unis (FTC) dit légitimer la vente de diamants synthétiques aux consommateurs à la condition expresse qu’il y ait une divulgation complète concernant la nature du produit: les diamants synthétiques pourraient en effet menacer l’intégrité du commerce des diamants naturels, si on encourageait leur commercialisation à des prix coûteux, sans révéler leur incapacité à conserver la valeur : ceci résume bien l’enjeu d’une différenciation claire et précise des 2 alternatives, un diamant synthétique à bas prix d’un côté, un diamant (naturel) de grande valeur de l’autre côté.

C’est aussi pour relever cette distinction de l’origine, naturelle ou synthétique, que la De Beers a sorti en Septembre 2018 sa « Lightbox Jewelry», bouleversant le marché du synthétique qui avait pratiqué des prix à peine plus bas que le diamant naturel ! Avec un nouveau modèle de tarification linéaire, et sans certification de laboratoire, Lightbox donnait un message clair : ramenons le prix du synthétique à sa réalité, soit 800$/carat (contre, pour schématiser, environ 8000$/ct en valeur de revente pour un diamant naturel F/G VVS/VS).

S’il est vrai qu’en 10 ans les coûts de production du synthétique ont été divisés par environ 10 et que les prix pratiqués par certains reflétaient sûrement les stocks à écouler achetés au prix fort de l’époque (4000$/carat pour un bon CVD en 2008), il y a eu de l’abus massif, sans aucun doute. En lançant sa collection de bijoux de mode avec des diamants synthétiques, la De Beers, par l’intermédiaire de sa société « Element Six », voulait radicalement repositionner le diamant de synthèse dans la catégorie des accessoires, du bijou fantaisie, et relever l’enjeu crucial du besoin d’une différenciation nette, pour les consommateurs. 

Voir le Schéma ci-dessous qui permet de constater l’immense enjeu que représente la différenciation pour le public entre les 2 diamants – Bain & Company (rapport 2020-2021), schéma de l’impact sur le marché du naturel, du niveau de différenciation fait par les clients entre LGD et Diamants Naturels) (9).

Mais qu’est-ce qui fait au juste la valeur d’un diamant, synthétique et naturel ?

L’argument premier en faveur de la valorisation marchande du diamant naturel, est bien-entendu sa rareté, puis son origine naturelle, son état de ressource naturelle limitée, ses couts d’extraction et de transformation en pierre taillée, tous les couts inhérents à sa commercialisation, et enfin son « âge » pouvant dépasser les 1.5 Milliards d’années, et la symbolique de l’éternité qui lui est associée.

La Diamond Producers Association ne lançait-elle pas dès 2015 le Slogan “Real is rare. Real is a diamond.”, avec l’idée de sensibiliser les Millennials sur la nature du diamant de mine ?

Puis, sous sa nouvelle indentité, le Natural Diamond Council (ex-DPA), lançait en 2020 la nouvelle formule “Only Natural Diamonds”, avec sa plateforme web destinée aussi aux « Gen.Z », qui donne toute l’information utile pour légitimiser l’intégrité complète de la filière du naturel ?

Le volume total extrait de mines chaque année (entre 125 et 135 Millions de carats en moyenne (9) ) peut paraitre très important mais il est en réalité subdivisé en une myriade de catégories, par poids et par types, pour l’industriel ou la qualité-gemme : ce qui implique de les trier par Pureté et par Couleur, mais aussi par Forme, etc. Une fois ces processus de sélection effectués, il est aussi utile de savoir qu’à la Taille (Cut/Coupe), la perte de poids va de 40% à plus de 60%. Une fois taillés, les diamants repartent à nouveau dans un processus de tri, suivant les fameux 4C (Carat / Color / Clarity / Cut), plus d’autres critères tels que la fluorescence, les sous-teintes parfois présentes, les proportions pour les Fancy Cut, etc. 

Autrement dit, le diamant Rond-Brillant de 1.05cts couleur E ou F pureté VVS2 ou VS1 en grade de Taille (Cut/Poli/Symétrie) 3x « Excellent », sans fluorescence, que vous pourriez avoir sur une bague de fiançailles, représente une catégorie déjà ultra-sélectionnée du diamant, qui correspond véritablement à un infime % de ce qui a été extrait en une année d’exploitation minière !

Donc, oui, la rareté semble être un critère réel et consistant dans la valorisation du diamant naturel dont la production reste constante, au contraire du synthétique qui voit sa production augmenter de façon exponentielle.

Les défenseurs du diamant de synthèse ne s’accordent toutefois pas avec cette vision du prix justifié par la rareté :

Dans ce passionnant article de Avi Krawitz (19), est retranscrit l’échange verbale qui avait lieu dans une conférence entre des représentants de la filière du synthétique, dont Mr Amish Shah, et ceux de la filière du naturel, dont Mr S.Lussier, un haut responsable de la De Beers. 

Amish Shah, président de ALTR Created Diamonds, producteur de diamants synthétiques, prétend que le consommateur ne se laissera pas abuser par le « Hold-Up du mythe de la rareté du diamant naturel », qui coule à flot chaque année sur le marché et dont la revente en seconde main (de pierres plus anciennes) représente aussi en lui-même un gros marché.

Il n’y a donc pas de valeur intrinsèque au diamant naturel, selon Mr Shah, et l’origine naturelle ou synthétique, ne garantit pas une « valeur ». Il en veut pour preuve que, s’il y avait une valeur intrinsèque, le prix du diamant naturel ne devrait faire qu’augmenter années après années…

D’après lui, La valeur du diamant se construit lorsque vous l’emballez, vous le « marketez » et que vous le faite reluire aux yeux du consommateur : pour A.Shah, la durabilité des prix est liée à la désidérabilité, qui est créée par l’image de marque implantée par le marketing et la publicité, par le « Branding ».

En termes de prix, pour Mr Shah, plus le coût production en laboratoire est faible, plus le secteur peut réaliser de marge (érodée dans l’espace des diamants naturels) réinjectées dans la création de marques « branding », ce qui donnera une valeur ajoutée au secteur et aiguisera davantage le désir chez le consommateur.

Mr S.Lussier (De Beers) lui répond en ces termes: « nous pouvons différencier les diamants par origine, car l’origine naturelle implique en elle-même une différence claire sur le plan scientifique et environnemental, ainsi que dans son impact social et la perception qu’en a le consommateur pour qui un diamant naturel reste intrinsèquement rare et précieux. ». La préciosité du diamant est intimement liée à celle que le consommateur veut attribuer aux moments importants de sa vie. Par ailleurs, dit-il, la valeur marchande d’un diamant ne faiblit pas vraiment (même si elle soumise aux aléas de l’économie mondiale), parce que le diamant reste, très concrètement rare et que ses couts d’exploitations ne cessent d’augmenter. Le diamant a cette faculté de retenir/conserver sa valeur financière : un beau diamant ne vaut et ne vaudra jamais « presque rien » (à l’inverse du Synthétique), même si son prix peut fluctuer. Par ailleurs, quand il achète un diamant, le consommateur ne pense pas en premier lieu à de l’investissement mais à la valeur sentimentale ET financière qu’il souhaite voir perdurer et qu’il a « chargée » dans son achat, de même que la personne qui reçoit le diamant projette cette valeur intrinsèque sur elle-même.

Imaginez juste un instant offrir un diamant (de synthèse) que vous avez payé 10’000CHF, et votre aimé(e) de constater que quelques mois ou années après celui-ci vaut seulement 3000CHF, puis 1000CHF puis 100CHF ? Un point difficile tout de même à admettre, pour celui qui reçoit comme pour celui qui offre : c’est le Talon d’Achille du diamant synthétique, son inévitable incapacité à conserver sa valeur marchande !

C’est aussi la raison pour laquelle, les grands moments de la vie resteront probablement marqués par des cadeaux utilisant du diamant naturel.

Le fossé se creuse: la filière du naturel propose un produit qui s’impose par lui-même (d’où d’ailleurs peut-être sa défaillance en matière de communication et de branding, car elle s’est trop reposée sur les lauriers de l’ « aura » naturelle du diamant), tandis que la filière du synthétique rejette cette valeur intrinsèque et vend à la place un produit dont il construit de toute pièce la valeur en mettant en avant une stratégie du marketing/branding comme étant largement dominante par rapport à l’objet lui-même qui est vendu.

La valeur financière du diamant de mine a en effet vocation à s’accroître et à perdurer, du moins avec le temps, puisque sa présence est limitée à ce qu’offre la nature, qu’il est conditionné à son extraction et sa transformation (de plus en plus couteuses) et que posséder un diamant de qualité (hautes couleur et pureté) est encore un facteur supplémentaire d’extrême rareté (donc de valorisation potentielle).

À l’inverse, les diamants de laboratoires ne coûtent que quelques centaines de dollars par carat à fabriquer et connaissent un niveau de production massif et en pleine croissance : ils ont ainsi une valeur financière qui ne peut que diminuer – comme c’est le cas de tout produit industriel pouvant être créé en quantités illimitées. Le prix du diamant naturel devrait ainsi continuer à être relativement stable voire, sur une plus ou moins longue temporalité à augmenter, alors que « le prix du diamant de laboratoire baissera forcément avec les économies d’échelle liées à l’accroissement de sa production » (8).

A mesure que les mines s’épuiseront (l’effet de la raréfaction du diamant de mine pourrait hypothétiquement commencer à se faire sentir entre 2050 et 2070), les diamants de laboratoire remplaceraient alors une partie de la réduction de l’offre de diamants naturels, ces derniers connaissant en conséquence des augmentations significatives de prix.

Alexandre MARTIN

Diamantaire et gemmologue 

Société « Mediam Suisse » – Neuchâtel – Suisse

Bibliographie – références

(0) GIA Archives, Publication Winter 1938, « Supposed Synthetic Diamonds Tested »

(1) Article de Tiffany Stevens, “ When talking about diamonds, words matter ”, naturaldiamonds.com

(2) Association Collectif Diamant 

(3) Article de Ehud Arye Laniado, « The History of Lab Grown Diamonds » ,17 May 2017, ehudlaniado.com

(4) De Beers Group, BPP

(5) Responsible Jewellery Council, RJC

(6) DDI-RESOLVE, Responsible Artisanal Mining et création de la DDI 

(7) Diamond Producers Association (DPA) report “The Socioeconomic and Environmental Impact of Large-Scale Diamond Mining” , May 2, 2019, rédigé par Trucost ESG Analysis, + le “Total Clarity”report” issu du (7), + l’article de Lauren Gray, Edelman.com « First-ever comprehensive report(…)for further improvment », commentant le (7).

(8) Article de Meriem Allier, « La bataille informationnelle que se livrent les acteurs du diamant synthétique et du diamant naturel », Ecole de Guerre Economique, www.ege.fr

(9) Rapport “Brilliant Under Pressure: The Global Diamond Industry 2020–21”, Olya Linde, Ari Epstein, Sophia Kravchenko, et Karen Rentmeesters, Fev 8, 2021, rapport réalisé par Bain & Company, avec le concours du Antwerp World Diamond Center (AWDC)

(10) Article de Sophie Hoguin, « Fabrication de diamants de synthèse : 3D, lasers, les technologies innovent » 21 novembre 2019 dans Matériaux, Biotech & chimie, techniques-ingenieur.fr

(11) Article de John Jeffay, A Tale of Two Lab-Grown Enterprises, IDEX online

(12) Article de Sylvain Goldberg, avril 8th, 2019, « Les synthétiques sont-ils vraiment écologiques ? »

(13) Article de Rob Bates, « Les diamants naturels et synthétiques doivent cesser de se battre », traduit et diffusé par l’excellente équipe de Rubel & Ménasché , La Lettre R&M

(14) Federal Trade Commission letter to synthetic producers, March 26, 2019 & April 2019 “Warning letters re-”mined” diamond sellers to describe products accurately”, voir aussi les “200615_JVC_FTC-Guidelines”

(15) Natural Diamond Council (Ex-DPA) www.naturaldiamonds.com

(16) Article « Les synthétiques pourraient obtenir un label développement durable », traduit du Rapaport News et diffusé par l’excellente équipe de Rubel & Ménasché, La Lettre R&M

(17) Article de Rob Bates “FTC Warns Lab-Grown Diamond Companies About Marketing”, April 2, 2019, jckonline

(18) Article de Hervé Dewintre, « Le diamant contre-attaque », 25/01/2021, lepoint.fr

(19) Article de Avi Krawitz, “Synthetics vs. Natural: The Battle over Value”, Nov 13, 2019, Diamonds.net, Rapaport

(20) Articles de Joshua Freedman, “De Beers Sightholders Embracing Synthetics, Miner prepares new guidelines for clients with lab-grown businesses”, Nov 12, 2019, “De Beers issues synthetics guidelines”, Dec 18, 2019,Diamonds.net

(21) De Beers – Guidance “Undisclosed Synthetic diamonds”- 

(22) Article de Rob Bates, JCK Online, « De plus en plus de détaillants vendent des diamants synthétiques », 10.11.20, traduit et diffusé par l’excellente équipe de Rubel & Ménasché, La Lettre R&M

(23) Article de Rachel Taylor « Marketing des synthétiques : un message aux multiples facettes », traduit par l’admirable équipe de Rubel et Ménasché

(24) Article de Valérie Xandry, La vérité sur les diamants de synthèse qui bousculent la joaillerie, Challenges.fr

(25) Dossier de Élise Rousseau, « Le Processus de Kimberley et la lutte contre le commerce des diamants de sang », courrier hebdomadaire du CRISP 2017/28-29 (n° 2353-2354), cairn.info

Autres articles consultés :

Article de Bryan Hood, « Lab-Grown Diamonds Are Now a $280 Million Business », sur Robb Report, 22 mai 2019 

Newsletters, articles et traductions d’articles (la lettre R&M) de et par Rubel & Menasché

Communiqué de presse de “Collectif Diamant”, Jean-Marc Lieberherr , Union BJOP, avril 2019

Article du Natural Diamonds Council, “The Earth. For the Earth

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